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 Little Clove Road, rue "tranquille" de Staten Island

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Sujet: Little Clove Road, rue "tranquille" de Staten IslandVen 11 Aoû - 16:19
Little Clove road


Staten Island, 2014

C’est un soir de pleine lune dont tous les habitants qui vivaient déjà ici se souviennent sans le moindre doute. Certains décrivent un hurlement dans la nuit, une voiture qui démarre en trombe, d’autres prétendent qu’un silence de mort régnait. Dans le petit salon de coiffure de Henry Barker, les lumières restent allumées toute la nuit – ce n’est pas habituel. Lorsque le soleil se lève, alors que Mrs Dewitt s’apprête à aller faire faire sa permanente par Lucy Barker, c’est elle qui cette fois pousse un hurlement – Mrs Danver accourt et attrape la pauvre femme avant qu’elle ne fasse un malaise. Devant leurs yeux, au milieu de leur banlieue tranquille, sans histoire, comme ça, au milieu du salon encore maculé des cheveux coupés la veille, le corps de Lucy git sans expression. Mrs Dewitt pense immédiatement à la permanente qu’elle n’aura pas, à son mari qui va lui faire remarquer que ses cheveux sont tout plats, à l’anniversaire de son fils ce week-end qui va être gâché – on a pas idée de mourir un jeudi. Madame Danver, elle, pense aux ragots – ses copines seront folles quand elles vont apprendre ce qu’elle a vu ! Elle était presque là la première ! Elle pourra raconter aux autres que c’est elle qui a appelé la police.

Peut-être même qu’elle pourra feindre d’avoir de la peine…

Staten Island, 2019

Le salon de coiffure n’est plus depuis longtemps. Henry Barker a bien tenté de le rouvrir – après avoir passé quelques semaines en prison à hurler son innocence dans l’affaire du meurtre de sa femme – mais il est vrai que l’histoire a fait mauvaise presse – on se demande pourquoi. La devanture annonce l’ouverture prochaine d’une supérette, mais Mrs Dewitt sait bien qu’aucun commerce ne tiendra ici. Le boucher qui avait tenté l’expérience a vite renoncé – l’ironie était sublime, cela dit. Personne ne tiendra parce que tout le monde se souvient de la morte. En plus, maintenant qu’on sait que c’est le Dr David Hyde – oh, un homme pourtant si charmant ! De bonne famille, élégant, intelligent, raffiné, le genre d’homme auquel on aurait rêvé de marier sa fille, pas que ce soit le cas de Mrs Dewitt, évidemment, mais quand même… Maintenant qu’on sait que le Dr Hyde est le meurtrier… Il faut dire, ce crétin, qu’il a tenté d’en tuer une autre. Sa bonne amie Mrs Danver lui a apporté le journal hier, et il y avait le portrait de Hyde à la page 8. Il a dit qu’il ne se souvenait pas du meurtre. Il a juré qu’il n’était pas lui-même… Enfin. Le pire, c’est que tout ça va se tasser, maintenant, et Mrs Dewitt doit bien l’admettre, voilà longtemps qu’elle ne s’était pas autant amusée que ces cinq dernières années.

Staten Island, 2024

Mrs Danver se sent bien seule. Pourtant, elle vient de voir quelque chose qu’elle aurait adoré partager avec Mrs Dewitt. Lorsqu’elles ont découvert le corps de Lucy, il y a 10 ans, ces deux-là se sont liées d’une amitié indéfectible – le traumatisme, le choc, la peur… l’amour des ragots, voilà qui les a soudées comme si elles étaient sœurs. Mais Mrs Dewitt a déménagé, et depuis qu’elle vit sa vie au Canada – Mrs Danver ose à peine penser à cette trahison – elle a complètement oublié sa comparse. Pourtant, un peu plus tôt ce matin, Mrs Danver a croisé un journaliste. Ou un réalisateur. Elle ne sait plus trop. Il était tout à fait charmant, et il est venu la trouver pour lui dire qu’il était là pour réaliser un documentaire – fiction. Pour l’application où l’on trouve des séries, là… netfon, netfil… quelque chose comme ça. A Staten Island ! C’était tellement excitant qu’elle a failli tomber de la chaise où elle était assise, en train de siroter un irish coffee après son cours de yoga de 10h. Évidemment, elle a déjà largement entretenu les velléités du journaliste, elle n’est pas née de la dernière pluie. Mais elle a ménagé le suspens, car elle a besoin qu’il revienne la voir. Après tout, c’est elle qui a découvert le corps ! Enfin… Elle l’a orienté vers le lycée. C’est là, cher monsieur, lui-a-t-elle dit, que vous trouverez des histoires à raconter. Ce lycée qui a accueilli mes enfants étaient autrefois si tranquille, mais vous imaginez aujourd’hui, les enfants Hyde (Anthony et Emma) et les enfants Barker (Joanna et Jonathan) le fréquentent tous les quatre. On raconte qu’ils étaient proches quand ils étaient petits, surtout Joanna et Anthony – c’est comme ça que David a rencontré Lucy, d’ailleurs. Mais imaginez-vous, cher Monsieur, comment s’entendent des enfants quand leurs parents s’entretuent ? On raconte qu’Anthony est à la dérive. Oui, cher Monsieur, si vous voulez comprendre toute l’histoire, vous feriez bien de commencer par là.

Elle a déjà été bien bonne de lui donner toutes ces informations. Elle n’a pas vraiment retenu son choc quand son mari lui a annoncé qu’une société de production venait réaliser un documentaire ici, dans leur quartier si tranquille – mais Mrs Danver y voit là l’occasion de faire le ménage. Table rase du passé. Les enfants Hyde devraient aller grandir ailleurs – malheureusement, la mauvaise herbe, il est difficile de s’en débarrasser. Et les pelouses de son quartier sont si belles…


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