Brooklyn, 2014

Andre ne peut pas dire qu’il ne soit pas content du résultat. Dans sa famille, le logement est une véritable passion et ce, depuis plusieurs générations. Son père était aussi un entrepreneur - il se surnommait le Robin des bois de l’immobilier, prendre des immeubles aux riches pour les offrir aux personnes un peu moins riches - et son grand père était agent immobilier en son temps. Sans oublier sa tante Mildred qui faisait le ménage dans les parties communes d’un immeuble à Chicago - il l’ajoute volontiers dans son héritage immobilier. Quand ils ont décidé d’acheter le complexe avec Firmin, Andre y a vu là l’accomplissement d’une destinée familiale. Son ami l’a toujours encouragé dans cette voix. Et Firmin a toujours de bonnes idées, alors il a suggéré quelque chose de révolutionnaire. Ça va forcément les rendre célèbres, avec tous ces gens qui passent à la télévision en ce moment parce qu’ils ont de bonnes idées, et ingénieuses. Leur immeuble sera intégralement réservé à la colocation - mais ils ne feront pas les choses comme tout le monde, ça non. Meg & Christy, mandatées spécialement pour l’occasion, deux amies qui vouent une passion un peu extrême à Eric (Clapton),  employées dans une agence matrimoniale, vont se charger de former des colocations idéales, en échange d’une réduction de leur propre loyer. Les profils seront passés au peigne fin pour assortir au mieux les futurs colocataires. Andre regarde les beaux murs blancs du dernier appartement qu’il contrôle, et dépose une note de bienvenue sur le comptoir de la cuisine, le cœur battant plein d’émotions.


Brooklyn, 2019


Meg s’étire et quitte la chaleur rassurante de sa couette. Peu importe le temps qu’il fait dehors, elle a besoin de dormir emmitouflée dans les couvertures. Elle jette un coup d’œil au poster d’Eric Clapton qui orne son mur et refait rapidement son lit - avant de courir dans la chambre voisine pour réveiller Christy. Elles ont du travail avant de rejoindre l’agence, car un appartement se libère au troisième et qu’il faut reloger des gens. La liste des candidats est gigantesque - l’immeuble à une petite réputation. De nombreuses personnes veulent y vivre aujourd’hui. Seulement voilà les places ne sont pas illimitées - à chaque départ, les filles se retrouvent avec une liste hallucinante de candidats sur les bras, dont il faut trier les profils et analyser les histoires. Les habitants de l’immeuble les aiment pour les colocations ingénieuses qu’elles ont créées au fil des années. Meg ne voudrait pas mettre tout ça en péril.

Brooklyn, 2024

La colère gronde. Andre - qui aime penser de lui même qu’il est un fin psychologue - peut bien le sentir. Hier matin, une des habitantes du 8e est venue hurler - d’une voix vraiment très aigue, il était presque impressionné - dans son bureau. Elle a menacé de résilier son bail. Elle a insulté l’idée ingénieuse de Firmin. C’est lui qui a trouvé qu’il serait plus efficace de faire faire les colocations par une intelligence artificielle, parce que mine de rien, les filles sont si consciencieuses que plusieurs semaines de loyer y passent parfois. A l’inverse de Christy et Meg, l’intelligence artificielle fonctionne vite. Mais après que la locataire soit venue hurler dans son bureau, voilà que le nouveau locataire du sixième, Eric, est venu se plaindre de sa colocataire Charlotte qui passe son temps à parler fort et vite alors que lui même a besoin de calme. Et puis Caroline est venue se plaindre que son coloc Joseph ne ferme jamais les rideaux de la douche… à croire que l’intelligence artificielle a loupé quelque chose dans les derniers appartements.

A moins qu’il n’ait été sciemment saboté…

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