manhattan, 2014

Ce soir, elle devra tout donner. Combien de fois a-t-elle entendu de la bouche de ses parents qu’elle n’était pas assez bien ? De celles de ses camarades de classe qu’elle ressemblait à s’y méprendre à ce que l’on pourrait aisément qualifier d’échec ? Les souvenirs douloureux du passé ne ternissent plus, aujourd’hui, les soirées de Juliet. Elle a tout laissé derrière elle pour s’adonner à sa vraie passion dans un monde qui l’inspire. The Nines est un endroit passionnant - mais le bar est sur le déclin. Elle le sait, car elle a les oreilles - et les jambes, parfois - qui traînent. L’endroit perd de l’argent et menace de fermer ses portes pour toujours, et l’idée lui est tout à fait insupportable. Mais ce soir, le duc de Montroth est dans le coin. Les rumeurs disent qu’il vient visiter pour voir s’il souhaite investir, et Ruth, l’amie de Juliet, lui a dit qu’il investirait sans aucun doute après l’avoir vue danser. Alors, la jeune femme a demandé à Henry, son amour, de ne pas venir la voir ce soir - à la place, elle a prévu de réserver un numéro spécial au Duc, pour qu’il puisse pleinement s’imprégner des lieux. Elle enfile son corset rouge, et ses longs cheveux blonds qu’elle a bouclés tombent en cascade sur ses épaules. Quand la musique démarre, elle jette sur ses épaules un châle noir qui ne dissimule absolument rien, et s’élance sur la scène, analysant rapidement l’endroit pour trouver le Duc - même si ses yeux accrochent ceux, désespérément triste, d’un Henry éconduit. Son coeur se serre, mais Juliet a appris, avec les années, le prix de la résilience. Il faut parfois savoir perdre pour gagner plus.

manhattan, 2019

Harold est insupportable. Ses petites manigances au sous-sol, sa tendance détestable à mettre ses mains partout, à draguer toutes les filles et à laisser libre court à son manque d’éducation, tout ça tape sur les nerfs de Juliet qui a du mal à retenir son agacement. La seule chose qui compense ce climat insupportable, c’est le fait qu’Harold vaque à ses occupations au sous-sol, tout seul, pendant qu’elle a l’occasion et le temps de gérer ce qui se passe en haut. The Nines est devenu un bar huppé, et son équipe se complète bien rapidement par des talents que Juliet elle-même recrute. Si ce n’était pas pour la réputation parfois étrange qui suit le piano bar - en ternissant la fréquentation - tout roulerait parfaitement.

manhattan, 2024

Mia sort de scène un peu émue, ce soir. La musique a fini de retentir, elle a chanté sa chanson, réalisé sa chorégraphie. Dans quelques semaines, elle fera ça pour la dernière fois - la pensée l’étrangle un peu. L’émotion est palpable. Elle est très heureuse de rejoindre Broadway, ne nous y trompons pas - et puis, une espèce d’instinct de survie s’est emparé d’elle qui lui dicte clairement de décamper, même si Juliet semble avoir pris les choses en main pour assurer sa protection. La disparition soudaine et inexpliquée - en tout cas, pas officiellement - du Duc, et ses anciens comparses qui continuent de se présenter pour rencontrer Juliet occasionnellement - ne lui inspirent rien qui vaille. L’endroit semble dangereux - un peu plus encore que quand elle y est arrivée, et qu’elle s’est dit que la paie compenserait. William, le fils d’Harold, n’a même pas l’air affecté par la disparition de son père, et Juliet, qui avait autrefois des promesses assez engageantes, a l’air d’être assez tentée par le fait de continuer à entretenir certaines activités... obscures. Non, vraiment, Mia sait qu’elle a raison de partir - le seul problème, c’est qu’elle va devoir laisser Sebastian derrière elle, et que l’idée lui est insupportable. Le jeune homme est tellement mou qu’elle est à peu près certaine qu’elle ne le reverra jamais si elle quitte l’endroit sans s’être ouverte de ses sentiments... et en le pressant de partir aussi. Elle est sûre qu’il pourrait obtenir un job bien dans n’importe quel autre endroit - pourquoi pas plus proche d’elle, d’ailleurs...

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