histoire
Voilà donc l’histoire que j’avais écrite sur mon ancienne fiche. Là, en terme de chronologie ce chapitre se déroule début 2023, je dirai. Un stade où il venait seulement de débuter une thérapie, comprenant enfin qu’il doit faire le deuil de Derek.
Je dois ajouter un petit paragraphe pour parler de l’évolution qu’il a eu pendant ses derniers mois, surtout avec
@Wesley Takagi, son frère adoré. Je peux aussi dire qu’aujourd’hui:
Joham est prêt et à déjà bien entamé sa thérapie. Il s’entend beaucoup mieux avec son frère, a vendu la maison qu’il avait eu avec Derek (ou mise en location? Je ne sais pas encore… je me dis ça pourrait lui apporter un revenu et hrp: un pl haha. Avec l’argent de l’assurance vie et les aides qu’il a eu, je l’imaginé s’être acheté un appartement à The Astor House. Un prix abusé, mais vu les cambriolages et les multiples départs, il a profité « d’une bonne offre ». Il se sent prêt à vivre quelque chose de nouveau… mais entre la théorie et la pratique il y a toute une différence et c’est ça le drama, la beauté du truc.
J’ai pas exactement écrite sa chronologie mais dans l’idée: à 19 ans il rencontre Derek pendant la formation pompier, ils ne vont jamais se quitter. En couple un an plus tard, ils vont se marier 5 ans après donc en 2011. 2013, ils vivent le parfaite amour.
En 2017, Derek décède. En 2018, Joham a 31 ans et il est au fond du gouffre mais il s’accroche a l’écriture. (C développé dans le texte juste après). 5 ans après, il est enfin prêt à retrouver le bonheur…
Raide devant la porte d’entrée, Joham Myong prenait une profonde respiration. Il savait pertinemment qu’un jour ou l’autre, il serait là, devant le cabinet du Dr. Grayson. Le jeune homme observa les lettres dorées nerveusement. Il soupira une nouvelle fois. Psychiatre, uniquement sur rendez-vous, disaient-elles. Le sien était prévu pour dix heures trente. Le jeune pompier avait vingt minutes d’avance, mais il savait pertinemment que c’était le minimum pour rassembler ses forces pour traverser cette porte.
Joham avait déjà décalé ce premier rendez-vous trois fois. Les deux premières fois, les excuses étaient en béton : la caserne avait eu besoin de lui. Quant à la dernière, là, c’était sa peur qui avait prit le dessus. Lui qui combattait le feu tous les jours que l’Univers fait, il était terrorisé devant cette porte. Comme à cet instant. Des psychiatres il en avait déjà vu. Mais uniquement pour le travail, mais à chaque fois les questions concernant Derek avaient toujours été esquivées.
Le jeune homme doit l’admettre, il était doué pour mentir aux autres comme à lui-même. Non pas qu’il était du genre à en abuser dans sa vie courante, mais dès que l’on parlait de son défunt mari et de son état de santé, Joham était un arracheur de dent. Il était un homme honnête, mais pas à ce sujet, loin de là. Après deux ans de deuil, la souffrance a fait place à un vide, un silence sournois. Bien plus douloureux qu’une brûlure au 3ème dégrée. C’était un problème. Avec le temps, cet espace a fini par se remplir de fausseté, de rires forcés devenant une armure aussi mortelle qu’une vierge de fer.
Ne comprenant réellement son affliction que depuis peu, le veuf se décida à prendre rendez-vous. Ici. Dans ce cabinet. Mais devait-il encore avoir la force d’y entrer, et l’effort semblait bien plus complexe à gérer qu’un feu de forêt. Joham savait qu’en passant le cadre de cette simple porte, il serait en nu intégral. Une nudité qu’il n’aime pas, qu’il n’a jamais aimé. D’après son expérience, être vulnérable ne lui était plus permis. Ni dans son travail, ni dans sa vie privée. Il a passé son enfance à l’être, indépendamment de sa volonté et il y perdit son frère.
Malgré toutes ses pensées, le jeune homme savait qu’un moment ou à un autre, se libérer de sa vierge de fer était nécessaire et lui serait bénéfique. Il souffrait trop.
Devant cette porte, Joham caressait son alliance pour se donner de la force. Son regard était perdu sur la porte, l’esprit déphasé dans toutes ses pensées. Par quoi devait-il commencé ? Son cancer ? Non. Son travail ? Son époux ? Son frère ? Toutes ses questions et bien d’autres valsaient dans sa tête. Et son expression apeuré traduisait bien l’infortune fête en lui.
Heureusement pour lui, la porte s’ouvrit sans qu’il ne la touche. Une femme âgée d’une cinquantaine lui fit fasse, surprise. Elle s’excusa puis passa la porte. Elle semblait satisfaite. Était-elle enfin heureuse ? Se demanda Joham en observant la femme tout en posant machinalement la main sur la porte. Il l’avait retenu et, d’un pas mécanique, il était là. Dans le cabinet.
La confusion se remarqua sur son visage, et la secrétaire le salua. Joham reprit ses esprits, ferma la porte avec attention. Un bref échange pour confirmer sa présence et il était dans la salle d’attente. Il n’était pas compliqué de voir que le cabinet était installé dans ce qui devait être un appartement. Les murs en briques rouge propre à Brooklyn ainsi que la décoration arrivaient à faire oublier au pompier qu’il était chez une psychiatre. Les fauteuils était étonnement confortables, et devaient couter une fortune. Dans cette salle d’attente, qui ressemblait bien plus à un salon conviviale, Joham était seul. Il observa les tableaux d’artistes tout en titillant sa bague pour se rassurer. Il essayait désespérément de cacher son angoisse, en vain.
Quinze minutes passées, une voix assurée le sortit de ses songes. D’un coup d’œil, il vit le Dr. Maggie Grayson.
—Mr. Myong, suivez-moi, je vous en prie.
D’une coup de main, elle désigna l’entrée de son bureau. Maggie était reconnue pour ses travaux sur le deuil. Après une brillant PhD à Yale, la jeune afro-américaine s’installa à la Grosse Pomme pour son cabinet et continuer ses recherches. Depuis l’ouverture de son cabinet, la docteur eut un autre PhD en sociologie ainsi qu’en philosophie. Des diplômes qu’elle affichait fièrement dans son bureau aux côtés d’une affiche Black Still Live Matter.
Maggie prit place derrière son énorme bureau en bois. Joham suivit, timidement, ne sachant plus trop pourquoi il était encore ici. Il ne doutait pas des capacités du Dr. Grayson, mais bien de son courage. Allait-il avoir la force de parler ? Même dans ce fauteuil en face d’elle, le doute subsistait.
—Bien, Mr. Myong, je sais que ce n’est pas évident d’être ici alors nous allons commencer doucement. Dites-moi, que puis-je faire pour vous ? Dit-elle en ouvrant un carnet vierge.
Elle adressa un sourire chaleureux au jeune homme qui s’était enfoncé dan le siège, une main sur le menton. Joham pensait. Trop. Son regard se perdait dans la rue. Le silence dura plusieurs minutes où la psychiatre voyait bien que Joham essayait de parler, sans succès.
—Vous savez, continua Dr. Grayson, mes méthodes ne sont pas les plus traditionnelles mais elles ont fait leurs preuves. Cependant, le silence reste ma cryptonique. Enfin, si le silence me dit bien des choses, mais, vous savez c’est plus compliqué pour moi de comprendre...
Son ton était sincère et chaleureux. Le silence reprit. Elle se leva, fit le tour du bureau. Elle prit le fauteuil vide, le tourna et s’installa faisant dos à son patient. Maggie l’invita à faire de même. Joham s’exécuta et il sentit tout de suite un poids se retirer.
—Bien. Je ne suis pas là, vous pouvez parler sans que mon regard ne se pose sur vous. Commençons par le commencement, parlez de ce que vous voulez. Vous pouvez me parler de votre repas préféré, le dernier film vu ou bien de votre animal de compagnie.
Le jeune homme passa une main sur son visage. Il se faisait violence. Il devait s’exprimer. Un profond soupir et il se lança.
—Mon repas préféré ? Et bien, je ne suis pas vraiment difficile.
Joham marqua une pause pour toucher son alliance.
—Le plus beau repas que j’ai eu était avec Derek… Mon mari. Nous aimions tous les deux la période de Noël et nous avions voulu découvrir cette période en Europe. Pour cette année, on avait décidé de faire plusieurs villes en France, mais les années suivantes on a fait l’Allemagne, l’Autriche et même la Suède. Ce sont…
Les premières larmes perlèrent. Il marqua une pause pour tenter de ravaler tout ça, mais l’émotion était trop forte.
—Ce sont des magnifiques souvenirs. Enfin bref, cette année là, c’était à Paris. C’est d’ailleurs sur le pont des amours qu’on a finit par se demander en mariage. On était des grands romantiques, lui comme moi avions prévu la bague et cet endroit. Après notre brève escapade dans la capitale, nous sommes partis en Alsace. Ce n’est pas très connu, mais ils savent fêter Noël. Strasbourg a été une ville incroyable à visiter. C’était féerique.
Joham eut un bref rire. Il venait de se souvenir de Derek imitant les clichés français alors qu’ils attendaient leurs repas. Il essuya ses larmes avant de reprendre.
—Nous avons mangé une raclette française. Avec une machine familiale où l’on peut faire griller des légumes, de la viande. Bref, ce soir là, il n’y avait que nous et notre amour. Ça été le plus beau repas de ma vie, Derek était hilarant à se moquer des français et leur arrogance.
Maggie termina sa prise de note et se redressa.
—Vous n’êtes plus ensembles ? Demanda-t-elle.
Un lourd silence prit place. Voilà le genre de question que voulait éviter Joham. Il n’avait pas envie d’aborder ce sujet mais l’ignorer n’était plus une possibilité. Le jeune homme s’enfonça dans son fauteuil un peu plus, observant la pluie.
—Mon mari est décédé il y a deux ans et demi. Il était pompier. Comme moi. Il était dans la 23ème.
—Oh… Toutes mes condoléances, murmura la docteure, votre époux était un véritable héros, tout comme vous.
—Un héros, oui… Il est mort pendant un incident de niveau 5. Vous vous souvenez de l’incendie du restaurant Bright ?
Maggie prit un instant pour réfléchir. Ce nom lui rappelait quelque chose.
—Maintenant que j’y pense, ça me revient. Une fuite de gaz qui s’est propagé dans tous l’immeuble ? J’ai trois patients en lien avec cette événement.
—Effectivement, c’était une fuite de gaz. L’immeuble n’était plus aux normes depuis quelques mois, mais le propriétaire a refusé des travaux… Résultat, dix-huit blessés et aucun morts sauf… Derek.
—J’ai souvenir que toutes les brigades de Brooklyn étaient présentes… Vous y étiez, non ?
Un nouveau silence. Il fut rapidement coupé par les lourds sanglots de Joham. Il tenta à plusieurs reprises de parler. Ses lèvres se mouvaient mais aucun son ne sortait. Grayson attrapa la boite de mouchoir sur son bureau et se retourna vers son patient pour lui tendre.
—Prenez votre temps, Mr. Myong, chuchota-t-elle avec empathie.
Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’il ne puisse dire quoique se soit. Malgré l’écart professionnel que devait prendre Maggie, elle ressentit une pincement au cœur. Il y avait une véritable détresse dans ses larmes qu’elle avait rarement vu, même dans le cadre de son travail.
—Voulez-vous arrêtez la séance ici ?
Une voix à l’agonie lui supplia d’arrêter cette torture maintenant. Mais celle de Derek lui demandait de continuer. Il savait pertinemment que s’il venait à quitter ce cabinet, il ne reviendrait pas. Joham avait trouvé la force de venir jusqu’ici une seule fois, et il avait peu de doute sur le fait d’y parvenir une ultime fois.
—Je n’était pas en service. J’aurai pu, j’aurai du mais ce n’était pas possible. J’étais à l’hôpital pour des examens annuels.
Joham soupira longuement, sécha ses larmes et continua son récit.
—A l’âge de onze ans, on m’a diagnostiqué un cancer des os, un ostéosarcome. La maladie a attaqué mes mains, principalement autour du capitatum. Ça m’a empêché de vivre. Avant la maladie, j’étais un gosse qui adorait l’art. Je dessinais, je peignais, je chantais et même parfois, je dansais. J’adorais écrire aussi. Mais la douleur dans mes mains m’empêchait ne serait-ce de tenir ma propre fourchette. J’ai eu une chimiothérapie pré-opératoire et quelques mois après, on m’a retiré les tumeurs et fait une autogreffe vascularisé. Le chirurgien a piqué un bout de mon péroné et j’avais des mains saines. J’ai encore eux des mois de chimio après, part prévention. A cause de tout ça, j’ai perdu un an de scolarité, et…
Joham se stoppa, il passa sa main sur son visage, maintenant crispé par une colère naissante.
—Et qu’avez-vous perdu d’autres ? Questionna Maggie en prenant des notes.
—Mon frère. Wes. Lui est en vie. Mais il m’abandonné au moment où j’avais le plus besoin de lui. Nos parents ont été d’un soutien et d’une aide incroyable. Même dans mes pires moments, ils étaient là. Quand je me décourageais chez le kiné, ils étaient là, à me soutenir. Mais Wes… Le pire, c’est qu’avant tout ça, nous étions très proches. Dès qu’il avait une répétions de musique, j’étais là, avec son groupe. J’adorais ce qu’ils faisaient, je voulais être aussi doué que lui.
—C’est grâce à votre frère que vous avez une sensibilité artistique ?
—Je pense que oui. A cet époque, je voulais faire des études dans l’art, peu importe le domaine. Tout me plaisait et j’étais assez bon. Enfin bref. Dès que le cancer a été repéré, lui n’est devenu qu’une ombre. J’avais besoin de lui et il a disparu. Quinze ans et incapable de soutenir son petit frère qui se mourrait à l’hôpital…
—Vous savez, fit Maggie, à quinze ans, nous n’avons pas toujours les outils nécessaires pour affronter un tel événement. Il était peut-être démuni face à votre douleur ?
—Vous pensez qu’à onze ans j’avais les outils pour faire face à un cancer et à l’abandon de mon unique frère ? Non, je ne les avais pas, mais je les ai forgées pour devenir fort. Pour m’en sortir. Lui n’a même pas essayé. En revanche, il ne s’est pas gêné pour entrer dans une prestigieuse école d’art et avoir une nouvelle occasion de s’éloigner.
—Pourquoi ne pas avoir intégré cette école, vous aussi ?
Joham soupira une nouvelle fois, mais cette fois, pour contenir sa frustration. Maggie avait raison, il aurait pu entrer dans une école d’art, il le savait. Et peu importe son parcourt professionnel ses parents l’auraient soutenu, c’était évident.
—Je suis entré dans l’école de pompier pour me challenger. J’avais dix-neuf ans. Vous imaginez, le petit cancéreux qui parvient à porter des corps de soixante kilos sur une épaule, au milieu des flammes ? Je pense que j’ai voulu reprendre mon corps en main et être réellement utile.
Et prouver que je n’étais pas un lâche, moi, pensa-t-il.
—J’imagine que vous ne parlez plus avec Wes ? Comment se déroulent vos réunions familiales ?
—J’essaye de voir nos parents une fois par mois. Si Wes est là, je me contente de l’ignorer. S’il n’est pas là, je respire un peu. Quand Derek venait à la maison, il essayait toujours de détendre l’atmosphère pour récréer cette fraternité, mais c’est bien la seule chose qu’il n’a jamais réussi dans notre mariage.
—Je comprends, fit la psychiatre en complétant ses notes. Si je reviens à notre sujet principal, vous n’étiez pas sur l’incendie à cause de votre cancer ?
—Non, je ne suis plus en rémission depuis quelques années. Ce sont simplement des examens pour s’assurer qu’aucun cancer n’apparaissent à nouveau. Mon ostéosarcome a été assez virulent, mais prise à temps pour ne pas atteindre mes poumons. Du coup, mon chef de caserne préfère que je surveille tout ça pour que je puisse être à fond dans mon job, et je le comprends. Après ma journée à l’hôpital, je suis rentré à la 23ème pour annoncer la bonne nouvelle à Derek. J’ai attendu des heures avant de voir ses collègues arriver. J’ai tout de suite compris quand je ne l’ai pas vu sortir du camion. Puis… Un black-out total. D’après ce qu’ils m’ont dit, je me suis effondré de chagrin et je ne me suis réveillé que quelques heures après. Je n’ai pas pu voir son corps. La cérémonie s’est faite à cercueil fermé tant les flammes l’avait consommé…
Joham prit une profonde inspiration pour évacuer ses larmes. Discuter de tout ça semblait plus facile qu’au début de la séance. Ça n’en restait pas moins désagréable mais une sorte de poids s’évaporait progressivement
—D’après les rapports, il était bloqué au cinquième étage avec une petite fille. Il lui a donné son masque à oxygène et…
Il marqua une pause pour contrôler un minimum sa respiration.
—Il a utilisé son corps pour la protéger des flammes. Les équipes étaient débordés. Ce bâtiment avait treize étages. Un de ses collègues les a trouvé. Il ne pouvait pas transporter deux personnes, il décida de prendre l’enfant. Elle avait encore des chances de survivre. Derek était trop mal au point pour être déplacé. Plus tard, le bâtiment s’est effondré sur lui-même devenant le tombeau de mon mari.
Maggie resta silencieuse. Elle avait entendu bien des histoires, mais celle-ci avait une once d’ironie particulièrement blessante. Si elle pouvait s’autoriser à pleurer pendant des séances, elle l’aurait déjà fait. Ce silence lui fut profitable pour respirer un peu, avant de reprendre ses notes.
—Vous dites être une personne artistique, avez-vous songé à utiliser l’art comme outil dans votre deuil ?
—J’essaye. Depuis le cancer, j’avais complètement arrêté. Par dégoût au début, puis être pompier me prenait trop de temps. Quand j’ai rencontré Derek, grand fans de comédie musicale, j’ai reprit goût à l’art. Et c’est comme si je n’avais jamais arrêté. Je me souvenais de mes cours de piano et de guitare, mes coups de pinceaux étaient les mêmes. On adorait passer nos journées de libre à chanter ensembles, on composait même quand le temps nous le permettait. Il rêvait d’écrire une comédie musicale… Bien sur c’était de genre de rêve qu’on ne peut jamais réaliser, mais il s’en fichait. De manière générale, l’avis des autres le laissait indifférent. Ce qui était important pour lui, c’était de vivre et d’essayer tout ce qui l’intéressait.
Un sourire s’affichait sur son visage. Ses souvenirs lui faisaient peut-être mal, mais s’en rappeler avait aussi quelque chose de tendre, de chaud, de réconfortant.
—C’est comme ça qu’on a commencé à faire du drag. C’était marrant, j’étais Gorgon Zella, et lui Lara Clette. Les plus belles cheeses-girls de tout l’état de New-York.
Ce même sourire s’estompait rapidement et ses yeux s’humidifièrent à nouveau.
—Mais, avec sa mort, ses funérailles et le retour au travail, je n’ai jamais eu le temps de le refaire. Et puis, nous étions un duo, comme les Boulet Brothers, je ne me vois pas retourner sur scène sans lui… La seule chose que j’arrive à faire, c’est d’écrire. Parfois, ce sont des lettres pour Derek, parfois, j’imagine notre quotidien fictif. Si nous n’étions pas des pompiers, nous serions des chausseurs de fantôme. Alors, je continue d’écrire son histoire… À ma façon.
—C’est important de laisser son esprit s’échapper dans un autre univers, pour qu’il puisse, en quelque sorte, se reposer. C’est à ça que sert l’art, après tout. Continuez d’écrire si ça peut vous apporter un échappatoire. Ne vous interdisez pas de peindre, de dessiner, d’aller voir des comédies musicales. Ne vous interdisez pas de vivre. La votre continue. Que penserait Derek de cette situation ? Si la situation était inversée, que souhaiteriez-vous à votre époux ?
—Je voudrais qu’il soit heureux, affirma Joham sans hésitation.
Il ne s’attendait pas à répondre aussi rapidement. C’était presque compulsif. Il venait de comprendre où elle voulait en venir.
—Et aujourd’hui, estimez-vous l’être ?
Joham resta silencieux. Il connaissait la réponse et se doutait que Maggie, aussi. La culpabilité fit rougir ses joues.
—N’ayez pas honte de votre réponse. Vos ressentis sont légitimes. Vos émotions aussi. Oui, vous avez le droit de dire que aujourd’hui, vous n’êtes pas heureux. En revanche, ce que vous n’avez pas le droit, c’est d’abandonner. Qu’il s’agisse de votre vie, de vous-même, de votre art ou même de vos liens familiaux, vous êtes bien placé en tant que pompier et veuf pour savoir que tout peut disparaître en un clin d’œil.
Maggie lui adresse un sourire rempli d’empathie.
—Bien évidemment, reprit-elle, le deuil et la reconstruction sont des processus longs et douloureux. Mais, Mr. Myong, vous êtes ici, aujourd’hui. Vous pouvez me croire, le plus difficile a été fait. Vous êtes incroyablement courageux. Vous avez battu un cancer à l’âge de onze ans. Onze. Vous combattez les flammes tous les jours, et je ne parle pas des vies que vous avez déjà sauvé. Vous assumez votre homosexualité dans un milieu particulièrement machiste et aujourd’hui, vous êtes là. Prêt à écrire un nouveau chapitre. Vous n’avez absolument aucune honte à avoir. Vous devriez même être fier de votre vie et de son parcours.
Joham répondit à son sourire. Ce genre de discours, il l’avait déjà entendu. De ses amis, de ses parents et de ses collègues. Il y a ce on-ne-sait-quoi aujourd’hui où, pour une fois, le pompier comprenait ce qu’on lui disait. Bien évidemment, ces simples mots ne pouvaient pas retirer la douleur encore vive, mais elle avait le mérite d’offrir au jeune homme une once d’espoir. Si Derek était encore là, aucun doute, il voudrait que son époux soit heureux et en paix.
—Depuis le décès de Derek, avez-vous essayé de rencontrer des personnes ? Des amis ou plus si affinités ? Interrogea la psychiatre, toujours dans ses notes.
—J’ai essayé, mais toutes ses histoires étaient comme un serpent qui se mord la queue.
—C’est-à-dire ?
—Et bien, continua Joham, le soucis c’est que si le problème n’était pas le fait que je porte encore mon alliance, c’était que j’ai encore des photos de mon mariage chez moi. Pourtant, ce n’est pas faute de prévenir au premier rendez-vous. Je suis honnête avec eux, j’ai besoin de temps… Mais ne dure jamais très longtemps. Et ce n’est pas si grave, c’est eux qui sont perdant dans l’histoire.
Son ton se voulait humoristique et ne manqua pas de décrocher un sourire chez Maggie.
—Très bien, très bien, je ne savais pas non plus que vous étiez humoriste ! affirma la psychiatre en se levant.
Elle se dirigea vers son bureau, posa son carnet et prit sa place. Quant à Joham, il pivota sa chaise. Ils s’échangèrent un sourire.
—Avant de conclure cette séance, j’ai quelques questions. Concrètement à quoi vais-je vous servir ?
La question était, bien entendu, rhétorique. Elle n’est pas inutile pour autant car elle permet au patient de se donner un objectif lors de ses séances futures.
—Et bien, je pense qu’avec simplement Derek, on a beaucoup de travail… Je ne veux pas l’oublier mais…
—… Mais vous souhaitez tourner la page, n’est-ce pas ? Quand on aime quelqu’un comme ça été votre cas, on n’oubliera jamais. Pour autant, on peut refaire sa vie tout en respectant la mémoire du défunt. Tout est une question de temps, pour panser ses maux. Et… Il vous faut une thérapeute et je pense pouvoir modestement dire que je suis la femme de la situation.
Un rire commun envahi la pièce. Joham se leva avant de saluer Maggie.
—Très bien, merci beaucoup docteure.
Elle salua une dernière fois son patient, souriante. Malgré la douleur présente, il ne faisait aucune doute que le jeune pompier était sur le début du pente ascendante.
—Oh, avant que je n’oublie, dit-elle pour appeler le jeune homme.
Il allait passer la porte mais se stoppa, et se tourna vers elle.
—Ne soyez pas trop dur avec vous-même. Ni avec votre frère. Je pense que, pour votre bien, retrouver quelqu’un qui vous a été aussi cher dans le passé ne pourra que vous faire du bien. Vous n’étiez que des enfants. La communication peut parfois faire des miracles, regardez le travail d’aujourd’hui !
—Je vais y réfléchir, merci, affirma-t-il en fermant la porte.
Et sans s’en rendre compte, une page venait d’être tournée. Pas celle qu’il imaginait, mais c’était bel et bien un nouveau chapitre qui s’offrait à lui. Ce lui de la guérison et du pardon. Un long récit arrivait, mais l’espoir de s’en sortir venait enfin de faire une place dans son cœur.