Harry aime la bonne nourriture, d'où qu'elle vienne, et il est donc capable de faire des kilomètres pour venir chercher ce qu'il a envie de manger, même si parfois, ce n'est pas très raisonnable. Ce midi, il a eu envie d'aller manger italien dans ce restaurant du Bronx qu'il affectionne particulièrement. Il a prévenu Agnes, mais la vérité, c'est que ce matin, il ne s'est pas réveillé très en forme. La plupart du temps, les choses vont relativement bien, mais il arrive encore tout de même qu'Harry se sente particulièrement fatigué ou diminué. Ce matin, il a cru un instant qu'il aurait les plus grandes difficultés du monde à sortir de son lit, ce qui était sans doute lié notamment aux questionnements qui occupent son esprit depuis le retour d'Agnes. En tout cas, il lui a fallu beaucoup de temps - et de patience - pour parvenir à s'arracher à la chaleur rassurante des draps, et quand il a enfin réussi, la routine du reste de la matinée a pris un temps fou. Il a failli dire à Romy qu'il ne se sentait pas d'attaque, et puis il s'est souvenu de la perspective d'une pizza délicieuse avec une personne bien placée pour comprendre ce qu'il ressent, alors il a pris sur lui, a commandé le taxi et s'est rendu à l'adresse comme convenu. Il a hâte de commander.

Il aurait pu perdre contact avec Romy, car malgré elle, elle lui rappelle une phase encore difficile de sa vie. Mais elle représente aussi un espoir et une force, et c'est ce côté là que son esprit, d'habitude plutôt agaçant et torturé, a miraculeusement décidé de retenir. Ils sont en contact, régulièrement, et c'est agréable de l'avoir. Quand elle arrive, il lui offre un sourire à peine désolé.

- Désolé de t'avoir traînée jusqu'au fin fond du Bronx, mais tu verras que ça vaut le coup. Ce restau est incroyable, c'est promis ! Tu t'imagines, même moi je me déplace jusqu'ici, alors...

Une routine bien huilée avait doucement fait son chemin dans la vie de Romy qui avait trouvé un certain réconfort dans la création de planning parfaitement organisé et précis. Comme une sécurité qui lui permettait de s'assurer qu'elle n'oublierait rien, terrifié à l'idée qu'un autre de ses souvenirs, même le plus anodin, puisse lui échapper de nouveau. Elle gérait d'une main de maître chacune de ses sorties, notant autant dans son téléphone que sur un morceau de papier le moindre détails de ses trajets et quoi que ce soit qui aurait pu lui sembler utile et indispensable. Si elle n'avait plus eu de perte de mémoire depuis longtemps, la crainte elle, était bien présente à chaque instant et les coup de mous bien trop rapide à remplacer la joie d'une journée. Elle trouvait aussi, un certain réconfort dans ces sorties avec Harry, contre toute attente, elle avait su garder une certaine connexion avec cette période de sa vie qu'elle aurait voulu enterrer sous un tapis et, il faisait parti, sans nul doute, de ces éléments perturbateurs qui avaient apporté à son histoire un semblant de renouveau, d'espoir et d'envie d'aller de l'avant. Elle n'avait jamais vraiment compris comment, ni pourquoi la vie avait fait se croiser leur chemin, mais c'était sans hésitation, l'une des choses qui avait raviver sa rage de vivre.

Elle se rend dans le fin fond du Bronx, au point de rendez-vous qui lui a été donné et est accueilli pas un Harry souriant, ce qui l'apaise presque instantanément. Elle est désormais en présence de quelqu'un de confiance et c'est tout ce dont elle a besoin pour afficher, elle aussi, un sourire.

« Je pourrais faire le tour du monde pour un bon restau. Et je crois que ta simple présence suffit à me convaincre qu'il en vaut la peine. »

Harry range son téléphone dans la poche intérieure de sa veste. Son appareil est désormais régulièrement chargé, ce qui n'arrivait pour ainsi dire jamais avant. Il fait l'effort parce qu'Agnes le lui rappelle sans relâche et qu'elle aime être en contact avec lui, souvent. C'est d'ailleurs avec elle qu'il est en train d'échanger lorsque Romy arrive, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est soulagé à l'idée que sa meilleure amie soit de retour à New-York. Elle a passé plus de six mois à Londres, le laissant seul avec sa grande maison vide et ses chats, et il revit depuis qu'elle est rentrée, même s'il vit au rythme des discussions entre la rousse et son infidèle de petit-ami. Il faut qu'il se consacre à penser à autre chose, cela dit, et qu'il se recentre sur son déjeuner avec Romy. C'est ça, l'important, là, tout de suite, pas l'impatience qu'il ressent à l'idée qu'Agnes puisse toujours avoir envie de se marier avec un crétin.

Heureusement, Romy est là pour lui changer les idées.

- Moi aussi, j'adore les bons restaus, et tu as raison de considérer ma présence comme gage de qualité parce que je suis un snob quand il s'agit de bonne bouffe...

Il ricane un peu, et joue avec les couverts sur la nappe blanche et rouge.

- Alors, comment tu vas ?