Une odeur peu agréable vient chatouiller les narines de Chris dont l’alarme indique qu’il est grand temps de s’assurer que l’appartement a survécu à la nuit de découchage de son paternel qui en plus d’avoir embaumé le salon d’une odeur de whisky, l’a tenu éveillé toute la nuit avec une partie de poker endiablée jusqu’à des heures indues. Chris ignore qui figurait a la soirée, et préfère sans doute l’ignorer en toute honnêteté. A plus de trente ans, le comédien redécouvre les joies des excentricités familiales, et il doit bien avouer qu’il s’en serait parfaitement passé. Pour ne rien arranger, Chris se sent un peu coupable d’héberger Maia dans cette situation qui, notons le tout de même, est pour le moins atypique. Tandis qu’il émerge doucement, il craint le pire en passant la porte de sa chambre. Les effluves de la veille lui donnent la nausée et le problème réside dans le fait qu’il ne peut pas vraiment dire quoi que ce soit au propriétaire qui ronfle tranquillement dans le canapé.

Chris soupire, et se dirige vers la cafetière avant d’affronter la scène d’horreur sous ses yeux. Visiblement son paternel a découvert les joies du mode de vie étudiant et de la cuisine au micro ondes puisque des résidus de sauce ornent désormais l’appareil autrefois immaculé, et ce pour son plus grand plaisir... Maia arrive d’ici quelques heures et Chris est à deux doigt d’appeler une femme de ménage en urgence tant cette situation le décourage. La caféine faisant son effet, il s’arme d’un gros sac poubelle et tousse.

- Tough night ? Maia is moving in today, maybe you could shower and go for a meditative walk? So I can clean…

Chris doit bien avouer qu’il lui fait de la peine, mais la situation est hors de contrôle et l’horloge tourne. Le patriarche finit par se bouger les fesses et à aider autant que faire se peu, probablement en proie à une culpabilité quelconque, mais Chris doit bien avouer que toutes ces années à se reposer sur la cuisinière et la housekeeper ne le rend pas particulièrement dégourdi pour ce qui est du ménage. Au soulagement général il finit cependant par suivre son conseil initial et aller prendre l’air. Quand la sonnette de l’appartement retentit, Chris est fatalement toujours armé d’une serpillère… Maia a pu suivre l’évolution documentée de photos par sms, mais le blond aurait préféré pouvoir se rafraîchir avant son arrivée. Il a l’air fin avec sa serpillère a la main…

- Hey… come in! Let me help with the suitcases…Sorry I couldn’t come myself to collect you!

@Maia Rosales

Excitation. Un peu de stress. Un cœur brisé. Une nouvelle vie, un nouveau départ. Beaucoup de joie.

Le vol était passé plutôt rapidement, elle avait regardé Back To The Future – un coup de chance qu’il soit au catalogue de la compagnie aérienne, et cela lui avait donné une patate d’enfer. Un peu trop, parce qu’elle s’était retrouvée trop excitée pour dormir. Ce n’était pas malin, le décalage horaire allait piquer. Elle ne comptait pas dormir en arrivant pour s’adapter au plus vite au rythme américain. Et de toute façon, aujourd’hui, elle retrouvait un ami cher et comptait bien ne rien laisser passer de la journée pour tirer profit au maximum de sa compagnie. Elle allait pourtant avoir largement l’occasion de passer du temps avec lui puisqu’ils devenaient colocataires, mais ce premier jour, ces retrouvailles, c’était important d’en profiter. La pensée de retrouver Christopher lui faisait même oublier son petit cœur brisé pendant quelques heures, et c’était une agréable sensation.

Pourtant, quitter Londres ce matin n’avait pas été facile, loin de là. Elle avait passé sa dernière nuit – enfin, sa dernière semaine – chez ses parents après avoir rendu sa chambre dans la colocation qu’elle habitait dans le nord de Londres. C’était au plus grand bonheur de ses parents. Ils avaient pris une semaine de vacance pour la passer avec elle. Ils avaient jonglé entre clichés touristiques que l’on ne prend jamais le temps de faire quand on vit dans un endroit tels que balade sur la tamise, ou boire un verre au Garden Sky en surplombant la capitale anglaise, et endroits plus tranquilles tels qu’une balade à Epping forest. Ils avaient évidemment assisté à quelques shows que Maia tenait à voir avant  son départ et ils avaient tous les trois adoré Pretty Woman – même son père qui n’avait pourtant pas envie de voir un autre que Richard Gere dans le rôle d’Edward.

Elle était maintenant à New-York, dans cette ville qui avait eu du mal à la faire se sentir chez elle, à l’accueillir, toutes ces années plus tôt, mais que Maia n’avait pourtant jamais cessé d’aimer. Elle espérait que cette fois, elle l’accepterait, à bras ouverts. Elle avait encore beaucoup à découvrir ici et elle avait hâte de faire de cet endroit, de ce nouveau quartier, son chez-elle. Son cocon.

Après ce trajet en taxi prise dans ses pensées et à moitié endormie  – elle devait prendre le métro mais avait clairement sous-estimée le poids de ses deux valises, son sac à dos et sa pochette à vêtements et avait vite succombé à l’appel du confort – Maia est heureuse de voir un visage familier. Elle ne peut s’empêcher d’afficher un sourire amusé en voyant Chris, serpillère à la main, cheveux en bataille. « Hey ! » Pour une fois, elle se retient de le serrer dans ses bras pour le saluer, pour ne pas l’embarrasser avec sa tenue de ménage, et lui dépose une bise rapide sur la joue à la place. Elle le remercie pour son aide avec ses – énormes – valises, et enchaine «  No worries, I fell asleep in the cab anyway, gave me some time to rest. Guessing by the look of you that you had to take care of your dad this morning ? » Elle dit cette dernière phrase en chuchotant légèrement et lance un regard rapide derrière son ami, s’attendant à voir son père apparaitre vers eux.

La nuit de Christopher a été courte, prétendre le contraire serait un bien odieux mensonge. Si on ajoute à cela la petite session ménage dont il se serait bien passé, autant dire que l’envie de retourner dans le confort de son lit est bien présente ce matin. Loin d’être un mauvais host, il aide cependant Maia a faire glisser ses valises jusqu’à une belle double room avec une salle de bain communicative et un balcon, une aubaine pour le quartier, elle appréciera au moins cela… Chris qui a toujours vécu dans les propriétés de ses parents le sait malgré tout, ils ont bien de la chance de pouvoir vivre ici avec pour seuls frais, l’acquittement des charges et factures diverses, c’est un privilège que d’autres n’ont pas. A la remarque de Maia, tandis qu’il dépose les valises dans la chambre, il ajoute sur le ton de l’humour maintenant que la situation est sous contrôle :

- Actually no, I mostly took care of the flat. It was too short notice to call the cleaner, and I didn’t want you to see all that… Trust me, I can go through dancing through life like a pro but in this case I’m sweaty and I definitely need a shower before I do anything else !

Chris ne rêve que d’une douche, mais il dessine toutefois un sourire tendre a l’attention de son amie. Il est heureux qu’elle soit là, même si les circonstances sont un peu particulières, cela va sans dire… Il espère que son paternel trouvera vite une solution de secours qui n’implique pas de vivre à l’Astor House ensemble. car cette colocation de l’enfer n’est en rien destinée à s’inscrire dans la durée pour le comédien. Égoïstement, il espère que ses parents se remettront ensemble, convaincu que leur relation (sans embûches jusqu’ici) survivra à une crise de la soixantaine, mais sa mère qui a pris les devants dans l’affaire du divorce a l’air de voir les choses différemment.

- He’s out for the day, and we had an argument about last night. I made sure he knew that the late night parties weren't happening once we start work. I often suck at setting boundaries so that might not have worked but let's keep faith…! So, how are you feeling ?

Chris l’accompagne dans la cuisine reluisante de propreté et fait couler toujours plus de café. En l’absence de thé décent à lui proposer il affiche une moue un peu désolée…

- In terms of tea, well, I hope you brought what you needed… I can make you a hot chocolate otherwise ?

“ Don’t worry, I mean thanks for the effort but I’m grateful enough to be staying here.” Elle savait très bien à quoi s’attendre, Chris lui avait envoyé pas mal de messages pour la tenir au courant de la situation, et puis pour souffler un peu aussi et lui permettre de râler sans jugements et sans interruptions. Elle ne pouvait pas vraiment comprendre ce qu’il vivait, ses parents étant toujours fou amoureux l’un de l’autre, et malgré le fait que le choix de carrière de Maia les déçoive fortement, ils ont tous les trois une bonne relation.

Elle regarde rapidement la chambre dans laquelle Chris la conduit, ravie à l’idée de s’y installer et en faire son petit cocon. Elle avait l’habitude des colocations, quand on vit dans des villes si chères que Londres ou New-York, c’est assez commun. On peut rarement se payer une logement décent seule. L’idéal étant de vivre en couple, mais Maia ayant choisi d’être en relation avec un homme marié, elle n’avait pas eu cette option. Elle n’avait d’ailleurs jamais mis les pieds chez lui, bien qu’il ait un bel appartement dans Mayfair. Elle ne voulait pas ne serait-ce qu’avoir un aperçu de sa vie familiale, de son autre vie.

“Although to be honest I am a bit of a neat freak so your dad will have to deal with me – you know, once I am comfortable enough around him to speak my mind.”, ajoute-t’elle avec un sourire en coin, avant de le suivre vers la cuisine.

“Late night parties, eh? It’ll be like having a twenty-year-old roommate …  I feel old now, if I don’t get my 7 hours of sleep I am super grumpy and tired.”

Sept heures de sommeil, de la camomille avant de dormir, et un thé vert au réveil. C’était sa seule façon de s’assurer une bonne journée ensuite.

“ Hot chocolate seems like a good way to start the day. I need a sugar rush to keep me awake.”

Pour le moment, elle gère plutôt bien le décalage horaire, mais il est encore tôt. Le plus compliqué est de tenir les deux premiers jours, ensuite elle serait vite accommodée à l’horaire américain. Et pour le coup, quelque chose lui dit qu'avec ses deux colocataires un peu particuliers, elle ne devrait pas avoir de mal à rester éveillée.

Quand il lui demande comment elle va, c'est avec un grand sourire, sincère, qu'elle répond. “I am so excited to be here, I mean it’s been hard lately, with leaving London, my family … but I mean, we’re gonna be on Broadway together ! I know you’re used to it so it might not be as big for you as it is for me but, oh my gosh, I can’t wait.”

Évidemment, ce n’était pas de quitter Londres qui avait été le plus difficile pour Maia, mais plutôt la rupture, un mois et demi plus tôt. Elle ne le mentionne pourtant pas, Chris n’étant pas au courant de cette histoire. Que penserait-il d’elle si il l’apprenait ?

Chris éclate de rire, mais il est également rassuré d’apprendre, qu’il n’est pas le seul à jouer les Monsieur Propre du dimanche dans une colocation. Le comédien aime l’ordre et les surfaces qui brillent, alors blâmez le si vous voulez, mais son esprit agité trouve tout le réconfort du monde dans les couvertures soyeuses sans plis sur le canapé et les étagères sans même ne serait-ce qu’une once de poussière. Quand Maia lui annonce, qu’elle fait partie de la même engeance que lui sur ce point, Chris est d’autant plus convaincu qu’elle est la femme parfaite. Pour ce qui est de son père, le tenor n’hésite pas à encourager la nouvelle colocataire à appuyer ses idées bien arrêtées sur le ménage, pour le plus grand bien.

- Please speak your mind, I love my dad but he’s not making a mess here. We need some ground rules. I’m a neat freak too and I need my sparkling kitchen to stay the way it is.

En prime, ils n’ont pas vraiment à se plaindre, la housekeeper passe régulièrement pour donner un coup de main, tout ce qu’ils ont à faire c’est de se comporter comme des gens civilisés et ne pas tout laisser trainer comme si quelqu’un d’autre allait ramasser les verres de vins de la soirée Netflix à leur place. En ce moment, cette personne, c’est Christopher et autant dire qu’il ne souhaite ce rôle à personne.

- Same here, the late parties are stopping the day we start work, as I said, ground rules. Maybe, he’ll be tired of the grumpiness and will move somewhere else, let’s hope for the best.

Ça c’est en admettant bien sur que sa petite crise de la soixantaine et les parties de poker ambitieuses ne mettent pas à mal ses finances par la même occasion. Chris s’imagine en plus que ses parents ont toujours un compte joint et qu’un bon gros drame pourrait résulter des agissements enfantin de James Grayson s’il décidait de jouer à l’enfant de trois ans dans cette histoire. Chris prépare le chocolat chaud, et ajoute des mini marshmallow, c’est toujours mieux avec plus de sucre, il en est convaincu. Ils s’installent paisiblement dans le salon et le blond sourit tendrement quand Maia lui parle de Broadway et de ce qu’ils s’apprêtent à partager.

- I’m always nervous you know ? I don’t think you ever get used to it but it’s going to be amazing and I am so happy you get to shine on that stage, you deserve it… We just have to start eating healthy and say goodbye to Margaritas…

Installée confortablement sur le canape, chocolat chaud et mini-marshmallows en main (sa boisson favorite en hiver, tout ce qui est sucré et chocolaté c’est la vie), Maia sent qu’elle va se plaire, ici. Il semblerait qu’elle et Chris ont la même vision de la vie en communauté et cela la rassure beaucoup, la colocation s’annonce excellente. Elle a hâte, aussi, d’en apprendre plus sur son ami et passer des soirées à converser dans ce bel appartement, verre de vin ou chocolat chaud en main. A Londres, sa colocataire était relativement discrète, et si elles ne se voyaient que peu de fois par semaine à cause de leurs agendas bien chargés, elles appréciaient leurs traditionnels Tuesday Brunch ou leurs balades mensuelles dans un quartier différent de Londres, pour découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles pépites. Elle sait que de nouvelles traditions s’installeront aussi avec Chris, dans sa nouvelle vie New Yorkaise.

Elle va surtout vivre New-York d’une autre façon que cinq ans plus tôt. Terminé les shifts au restaurant, enchainer les auditions et les rejets, manger des nouilles pendant une semaine en attendant le salaire, la frustration de louper des soirées parce qu’elle ne peut de toute façon même pas se payer un verre de vin. Elle va vivre cette ville à fond, cette fois. Elle sait d’ailleurs qu’avec son premier salaire sur le show, elle se fera plaisir avec une coupe de champagne au Rainbow Room, avec vue sur la ville depuis le haut du Rockefeller Center. Elle avait fait la même chose à Londres avec son premier salaire sur Phantom, avec une coupe de champagne depuis le Tate Restaurant - mais c’était moins impressionnant.

“ Well, we still have two weeks before we need to start this healthy lifestyle, so tomorrow I will cook us a comfort food meal, like some oven nachos with my special guacamole and make a pincher of Margheritas.”  

L’occasion aussi de célébrer son arrivée ici. Maia est vraiment reconnaissante envers son ami de l’accueillir chez lui, surtout malgré sa situation familiale. Mais vivre cette aventure avec lui a quelque chose de très réconfortant. Ses compliments la font d’ailleurs légèrement rougir. La première fois qu’elle l’avait vu sur scène, elle avait été éblouie par son talent. Sa voix, son jeu, on ne voyait que lui. De se retrouver à partager la scène avec lui ces quelques années plus tard était incroyable. Mais ce qu’elle appréciait le plus, c’est qu’il faisait briller ses partenaires autant que lui-même. Elle savait qu’avec leur alchimie, cela allait vraiment marcher.

“ And then, maybe we could share some performer’s tips to get over the anxiety. Last year my vocal coach taught me about tapping your fingers against your chest, you know, here.”  

Maia se penche pour tapoter ses doigts de sa main libre sur le torse de son ami, vers le sternum, pour démontrer le geste.

“ And you slowly breath in and out. Apparently the taping has an effect on your nerves. But you probably knew that trick already. ”  

Chris ne préfère pas songer à toutes ces recettes sans sel, sans sucre et autres additifs ainsi qu’à l’absence de cocktails qu’il va devoir subir lorsqu’il commencera son nouveau contrat. Le sucre est une drogue dont il est difficile pour le comédien de se passer, pour autant il est assez conscient de la manière dont certains aliments peuvent affecter sa voix ou ses niveaux d’énergie pendant des semaines intenses ou il lui faut être endurant et précautionneux afin de tenir le rythme de huit performances par semaine. Alors tel un soldat s’apprêtant à rejoindre le champ de bataille scintillant qu’est Broadway, il hoche la tête sachant qu’il s’offrira bientôt corps et âme à la merci des légumes vapeurs et des séances de sport intensives qui rythmeront bientôt son quotidien. Assez logiquement donc, il accueille la perspective de nachos cheese et guacamole avec avec un enthousiasme non feint.

- Yes please, let’s have all the melted cheese before we can only dream of it… Oh and of course Ben and Jerry’s for dessert. Did you get from that that I have an issue with dairy ? Because I really do and we have at least four different flavours in the freezer…

Chris envie ces collègues qui peuvent manger et boire absolument n’importe quoi sans que cela n’affecte leur instrument. Il ne fait malheureusement pas partie de cette partie de la population, et par conséquent, il doit faire ses adieux à la glace délicieuse qui trône fièrement dans le congélateur avec ses petits bouts de pâte à cookie qui s’il continue d’y penser pourraient bien l’obséder pour quelques heures…

Alors que son esprit divague, Chris est pris de cours par sa partenaire de scène qui s’approche, bien trop près si vous souhaitez l’avis de son petit coeur fragile. Le changement de sujet le prend au dépourvu au moins autant que les doigts de Maia posés sur son torse. Son rythme cardiaque s’accélère, évidemment. Pas vraiment l’effet escompté par l’exercise mais Il garde cette information pour lui cela dit. Ses yeux se posent dans ceux de son amie et il tente d’avoir l’air détendu malgré la proximité. Autant que faire se peut en tout cas, ce qui n’est déjà pas une mince affaire.

- No, not really, but that’s good to know… I guess it works best if you do it yourself, the tapping I mean… Are you anxious ?

Chris croise de nouveau son regard. Ils n’ont partagé que leur joie et leur excitation pour l’instant, mais Chris sait que les choses ne sont pas toujours aussi simples pour la britannique. Evidemment, elle donne le change et se pare d’un sourire confiant la plupart du temps, mais il s’agit tout de même de son première rôle principal sur Broadway, les enjeux sont différents.