tw: deuil
Depuis son retour de Londres, Adrian avait tenté mal habilement de se tenir à une routine pour ne pas sombrer. Il avait instauré un running autour de son quartier les jours où il travaillait et quand il ne travaillait pas, il prenait le métro pour aller courir dans Central Park, pour se vider la tête et s'aérer l'esprit dans le poumon de New York, il prenait toujours la même entrée, suivait les chemins sinueux qui ne semblaient pas monter tant que ça, finissait sur the mall et il continuait son chemin, une fois, parfois deux. Il slalomait entre les touristes, les oies, et les vendeurs ambulants, slalomait entre ceux qui s'arrêtaient sans prévenir, éviter de justesse les calèches hors de prix du parc. Chaque jour de repos. Une constante dans l'inconstante de sa vie depuis le décès de Liz. Il ne savait pas mettre de mots sur ce qu'il ressentait, parce qu'au fond, comment pouvait-il s'habituer à l'absence d'une personne qui n'était pas tant présente ? Peut-être était-ce les messages qui lui manquaient. Peut-être était-ce le fait qu'li ne devait plus se caler sur un fuseau horaire différent pour l'appeler. Londres avait été une parenthèse pansement, pour ne plus penser. Pour ne plus souffrir. Maintenant, il devait mettre des fleurs sur la tombe de sa mère et sur la tombe de Liz. Adrian avait réussi à ce qu'elles soient toutes les deux dans le même cimetière. Après tout, les parents de Liz lui avait laissé une grande partie de l'organisation de l'enterrement, tout ce qu'ils avaient fait c'était aligner les zéros sur le chèque pour qu'elle ait quelque chose de grandiose, à sa hauteur. Quoiqu'il en soit, c'était avec peu d'entrain et la tête un peu dans le brouillard qu'Adrian avait commencé son running dans Central Park, sans grande motivation, mais s'il avait mal aux jambes, au moins, il n'avait plus mal au coeur. Il en était à son dixième kilomètre, quand l'oeil rivé sur sa montre, il percuta de plein fouet un être vivant qui n'était ni un ours -à moins qu'il soit échappé du zoo-, ni un arbre -c'était bien trop dur pour que ce soit le cas-, il ne perdit cependant pas l'équilibre et se retrouva bien vite sur ses jambes. Lorsqu'il releva la tête, il la secoua pour faire face à une tornade rousse « What the hell ? Can you please, watch your step ? » Il arrêta sa montre avant de froncer les sourcils « June is that you ? »

Agnes a la tête ailleurs et partout à la fois. Le rendez-vous d’Harry chez le médecin a été un coup dur pour son anglais et il fut assez compliqué pour le couple de reprendre le cours de leurs activités comme si de rien était après les révélations du médecin, aussi prévisibles qu’elle aient pu être finalement. Pourtant, ils ont prévu d’organiser un mariage, et la liste des choses à faire s’agrandît de jours en jours. Agnes se sent submergée, mais décide toutefois d’aller courir dans Central Park pour se vider la tête. Casque sur les oreilles, musique pour accompagner sa course, rien n’aurait pu venir perturber cette motivation sans faille dont elle fait preuve ce matin la et pourtant…

Alors qu’elle ferme les yeux pour apprécier l’atmosphère unique du nouvel album qu’elle vient de découvrir sur Spotify, elle percute de plein fouet un jeune homme blanc un peu trop séduisant (copyright k-ro) dont le visage lui dit vaguement quelque chose. Elle se masse le crâne en râlant et avant même qu’elle ait pu mettre de l’ordre dans les idées, l’homme l’appelle June. Agnes fronce les sourcils, elle connaît une June, à Londres mais pas ici.

- If I could I would have avoid you, I was distracted ! And so were you if you bumped into me… But no June here Archibald.

Elle se dit un instant qu’elle aurait pu tout à fait donner un faux nom quelque part. Il y a quelques années de cela Agnes était plutôt active sur les sites de rencontre, déterminée à rencontrer un homme digne de ce nom, ce qui n’est bien entendu pas arrivé par ce biais. La faute à toutes ces photos torse nu avec des lunettes de soleil sans doute. Toujours est il qu’il lui semble effectivement familier. Malgré son accent indéniablement américain, elle est presque certaine de l’avoir déjà croisé quelque part.

- But you’re right, we do know each other…

Parfois quand il se réveillait, Adrian pouvait savoir avec précision si sa journée allait bien se passer ou non. Mais quand Buzz, le golden retriever, avait décidé qu'il avait bien trop attendu pour être sorti et qu'il s'était soulagé en plein milieu du couloir, devant la chambre du barista, Adrian s'était douté que ça allait être une journée compliquée. Plus que les autres finalement. Mais il ne lui avait pas râlé dessus, c'était de sa faute s'il n'avait pas mis de réveil et qu'il s'était laissé attirer par les abîmes du sommeil un peu trop longtemps. Et la suite n'augurait rien de bon pour le reste de sa journée. Il n'avait pas mis une case dans son bingo qui impliquait qu'il rentrerait dans quelqu'un et que cette personne se mette à râler alors qu'il n'y était pour rien. Enfin... Un peu quand même. Mais elle aurait pu l'éviter, ce qui lui indiqua bien avant qu'il n'ait pu user de politesse. Et il fallait bien évidemment que ce soit une fille avec qui il avait tenté d'oublier Liz à Londres, avant de la ghoster magnifiquement parce que 1) il n'était pas prêt à coucher avec une autre femme après le décès de sa fiancée 2) il ne rappelait jamais les filles avec qui il couchait, quand bien même il avait pu passer un bon moment. Mais c'était une autre histoire, il allait devoir potentiellement trouver des excuses qu'il ne voulait pas trouver sans implorer la pitié de son interlocutrice parce qu'il ne voulait pas qu'on ait pitié de lui.

- Archibald ? What the heck? I'm Adrian.

Visiblement le second degré etait aussi parti en vacances du côté du brun. Et il était complètement à la ramasse.

- Yes and speaking of knowing each other, I'm sorry if I didn't call you back. But I was quite busy organizing my house moving, going back to the US stuff like that.

Sa voix était trop peu assurée pour qu'elle ne le croit, mais Adrian n'avait jamais eu l'envie ni le besoin de se justifier. Et il se sentait incroyablement con sur le moment.

- But I can buy you a coffee or a hot chocolate, or we can run together. Are you hurt by the way?

Agnes continue de se masser à l’endroit du choc en levant les yeux au ciel. Visiblement, l’homme est persuadé qu’elle s’est appelée June dans une vie antérieure, et ne saisit pas l’ironie de sa réplique qui en plus d’une très légère pique est une belle référence à une comédie musicale dans laquelle elle a joué quelques années plus tôt. Agnes ne s’attend pas à ce que cette personne l’ait reconnue pour son travail cela dit, ce serait bien trop demander à un individu de genre masculin, et elle hausse donc les épaules à se demande de précision. En réalité, s’ils ont partagé quoi que ce soit d’autre, la rousse aurait bien besoin qu’on lui rafraichisse la mémoire, car elle est pour l’instant tout à fait incapable de mettre une situation sur le visage qui lui fait face

Par chance, le jeune homme ne se fait pas prier pour développer sur le sujet, et les yeux d’Agnes s’agrandissent comme des soucoupes alors que l’énergumène insinue qu’il était censé la rappeler et qu’il ne l’a pas fait, lui servant une excuse de lendemain de soirée dont l’américaine se serait très bien passé.

- I think I would remember giving you my number. So no offense taken, maybe you forgot to call someone else back... Your face does look familiar though.

Agnes soupire et épousseté ses leggings couvert de boue.

- I’m Agnes if that’s of any help to your memory.

Adrian n'avait pas franchement prévu que sa journée se passerait de la sorte et il se serait bien passé de devoir combiner avec une femme en détresse dans laquelle il avait foncer par mégarde. Le barista n'avait pas franchement que cela à faire et si ça pouvait lui éviter un aller/retour aux urgences, ça l'arrangeait bien. Et son porte-feuille aussi. Mais ça c'était une autre histoire. Cependant, il aurait peut-être bien besoin d'un aller aux urgences neurologique pour sa mémoire, enfin c'était ce qu'il pensait avant de se souvenir qu'il avait agi comme un goujat et qu'il ne devait peut-être pas partir en terrain conquis comme il commençait à le faire. Au moins, elle ne semblait pas rancunière puisqu'elle ne partait pas en courant.

-Oh...

Pas étonnant qu'elle ne prenne pas ses jambes à son cou puisque 1) ils venaient de se foncer dedans 2) elle n'était pas la personne qu'il pensait qu'elle était.

-Omg, I'm sorry I thought you were June. But do you know a June ? If not, you have a twin in London.

Il était pourtant persuadé que c'était elle. June. Il se souvenait d'elle. Ou plutôt il pensait se souvenir d'elle.

-Have you ever been in London actually?

Agnes plisse les yeux et soudain c’est l’illumination. Maintenant qu’il a spécifié la ville, la comédienne est en mesure de faire le lien entre les éléments et de se rappeler de ce type qui n’est par chance pas l’un des nombreux dates foireux qu’elle a pu enchaîner lorsqu’elle espérait stupidement trouver l’homme idéal sur les applications. Son accent américain, son air de tombeur et pire encore, ses pick up lines affreusement douteuses lui reviennent en mémoire ainsi que cette fameuse soirée où, bien malgré ses conseils avisés, son amie et doublure JANE, avait décidé de l’abandonner pour une partie de jambes en lair avec cet américain perdu dans la capitale britannique. Inutile de dire que la rousse a du réparer les pots cassés dès le lendemain matin, puisque le dénommé Adrian, n’avait pour ainsi dire aucune intention d’honorer Jane d’un texto ou d’un coup de téléphone après leur petite affaire. A part laisser ses chaussettes sales traîner sous le canapé, sa contribution à la vie de Jane fut courte et peu mémorable.

Agnes hausse un sourcil, ravi que le karma me taxe d’une bonne dose d’embarras.

- Jane, she was called Jane. Now I remember you, you were the guy talking about the moon or something I told her you were a loser but she didn’t listen…

Elle sourit cela dit, ce n’est pas tous les jours, qu’Agnes assiste à une telle scène. Il faut dire que les hommes blancs un peu trop séduisants (copyright k-ro) ont cette fâcheuse tendance à s’en tirer à chaque fois. Les occasions comme celles-ci sont trop rares pour ne pas les saisir.

- We met in a pub in London, then my friend abandoned me to have sex with you, and ironically it’s me your remember…Strange! What have you been up to anyway ? Obviously you came back here so I guess your pick up lines didn’t sell as much across the ocean ?

Son passage à Londres fut certes bref, mais il avait aussi marqué le coeur et l'esprit de l'Américain. Lui qui pensait pouvoir passer au dessus de son deuil en faisant ce qu'il fait de mieux -selon lui-, à savoir sortir des pick up lines accoudé à un bar -avec un soda en guise de boisson-, il s'était trompé sur toute la ligne et il devait rendre des comptes à des milliers de kilomètres d'où il avait rencontré la rouquine pour la première fois. Been there, done that, he wouldn't do it again.

- Wow, did you really call me a loser ? demanda t-il, un peu blessé dans son ego masculin. I didn't think that pick up lines would gave me the loser status. And for recall, it was "Are you the moon? Because I feel the strong gravitational force between us." if you wanna know.

Il était un peu vexé Adrian, qu'elle lui parle de la sorte mais il le méritait amplement. Après tout, il avait agi comme un con, il fallait maintenant qu'il en assume les conséquences.

- Hm, I don't know if I'm really up to talking about my life with a complete stranger. Or half stranger. But I've been in London crashing at my sister's because of what happened in my life. I mistakenly thought that pick up lines and banging a stranger as well would help me to forget, but it was the opposite.

Il en disait beaucoup trop, mais au moins, elle pourrait donner une explication à son amie de chez qui il avait injustement prit le large sans même lui laisser ne serait-ce qu'un post it échoué sur son plan de travail.

- In my defense, if your friend naively thought that a fling is supposed to say when they're leaving, that's not my problem. I didn't promise her the moon or another round in the first place. Without being unkind, of course.

La remarque d’Agnes a l’air d’avoir fait son effet puisque l’homme s’offusque et sent obligé de réciter sa poésie masculine une fois de plus devant un public déjà averti. L’idée de ne pas marquer les mémoires par son éloquence verbale semble alors insoutenable à ce cher Adrian et Agnes lui laisse donc l’opportunité de lui rafraîchir la mémoire en hochant la tête avec, elle s’en excuse par avance, une certaine condescendance malgré tout. La rousse a eu son lot d’ex lamentables, mais elle se console en se disant qu’elle n’a jamais succombé à ce type de force gravitationnelle. Son truc a elle, c’est plutôt les anglais emotionally unavailable.

- Wow. Do you have a website where you find all of those ? It couldn’t be Ai generated back then.

Elle espère ne pas lui avoir donné des idées avec son commentaire, mais se laisser happer par la suite de la conversation, pas vraiment certaine de comprendre comment elle se retrouve à prendre des nouvelles de l’erreur de parcours de son amie Jane. Quand il lui explique qu’il voulait simplement oublier « banging a stranger » Agnes lève les yeux au ciel. La poésie est vraisemblablement en dent de cie.

- Another tortured and misunderstood poet we have here… But I guess the only things you forgot were your underwear. She found them.

Agnes sourit amusée par ces remarques un peu gauches et pas aussi intentionnelles qu’on pourrait le penser a première vue. C’est sans doute ce qui a plu à Jane qui s’est laissé séduire par ce côté décalé et en dehors des réalités. La suite de son discours rejoint toutefois parfaitement la trope dans laquelle il a décidé de s’enfermer et Agnes hausse les épaules.

- I think you were too drunk to remember what you promised, and yes the moon made it quite a few times to the conversation so I wouldn’t be too sure about that. Is that being naive to feel a connection with someone ? Maybe you made her laugh with your silly jokes, maybe she thought there was more to you? Once again you both were drunk, so maybe you succeeded in forgetting whatever you wanted to forget, among other things and socks…