jude n’en pouvait plus. le problème avec le fait de tout garder pour soit, c’est qu’il doit attendre qu’il n’y est plus personne autour pour pouvoir se laisser aller. en ce moment, il y avait toujours quelqu’un. sa mère, pour lui demander si tout va bien, et quelles seront les prochaines étapes de son couple. finalement, elle s’était très vite habituée à la nouvelle de son homosexualité, réussissant à le plier dans des carcans hétéronormés avec facilité. et les enfants ? et la maison ? et le mariage ? il venait de finir un appel avec elle et n’en pouvait plus de ce mot. cela suffit à le faire basculer au moment où il entra dans l’ascenseur. il évite son propre regard embué de larmes, l’humidité de ses joues. ça n’a pas de sens, ce n’est qu’un mot comme un autre, il essaie de se dire.

puis il y a ses amis, qui lui demande si tout va bien en ce moment. son manager, qui attend plus de lui sans vraiment lui donner des opportunités pour prouver sa valeur. il s’entend toujours bien dans son entreprise, apprécie ses collègues. c’était un rêve, de pouvoir créer les tendances de demain. on parle de ses produits sur les réseaux sociaux, dans les bouches des vrais gens. ça le rend fier, mais il se demande s’il restera toujours à la même place.

c’est ça le problème. le surplace, il ne supporte pas ça. jude préfère être toujours en mouvement. il se rappelle les médecins voulant lui diagnostiquer un manque d’attention lorsqu’il était plus jeune, sans succès. jude a de l’attention, il en a trop à donner, sur tout ce qui pourrait aller mieux dans sa vie. et ce soir, il veut juste pleurer à n’en plus finir jusqu’à ce qu’aren rentre, où il fera semblant d’aller bien. comme d’habitude.

ce qui le surprend en ouvrant la porte et en voyant la lumière allumée. a-t-il oublié de l’éteindre avant de partir ? il s’avance, trouvant des fleurs sur la table, et la réalisation l’assomme. aren est là, rentré plus tôt, et jude ne parviendra pas à cacher ses larmes. « oh my god y-you scared me » qu’il sursaute en le voyant arriver, mais son premier réflexe après quelques secondes est de venir se réfugier dans ses bras. il trouvera bien quelque chose à lui dire.

la pression sur ses épaules devient de plus en plus lourde entre les demandes et attentes de ses parents. pour un homme dans la vingtaine entamée, on aurait cru que l'avis de ses parents ne serait pas aussi importante à ses yeux, et pourtant. aren sait qu'ils ne veulent que son bien, mais le flagrant irrespect à son encontre lorsqu'il en vient à sa relation est exténuante. tu devrais te trouver une femme, aren. on veut des petits-enfants, tu sais. pas qu'il pense même avoir des enfants un jour, une parfaite option serait l'adoption. depuis le moment où il a mit les yeux sur jude, il a su ne jamais vouloir le perdre de vue. à se voir dans le futur, à ses côtés, à ses côtés, heureux. il aurait voulu que ses parents acceptent sa relation sans avoir à ajouter du feu sur l'huile, qu'ils acceptent ce fait, qu'il soit intéressé par les hommes, jude, et lui seul.

c'est une autre journée comme les autres, de l'incessante voix de sa mère, suivi des commentaires ici et là de son père qui sort de son téléphone avant qu'il ne raccroche, après près d'une heure de discussion. il a dû couper la conversation, car pour une fois, il a voulu arriver avant jude. sans vraiment avoir de raison, simplement aren s'est senti mal de passer tant de temps au bureau. difficile d'être à la tête de cette compagnie familiale dans un temps où le business fleurissait. non seulement n'a t-il pas une seconde à lui, il se fout la tête dans le boulot pour éviter de penser à ce qui l'attend, pression de vouloir plaire à tout le monde. pour l'instant, il se contente de passer par le fleuriste pour prendre le bouquet commander la semaine d'avant, après avoir soigneusement choisi un agencement des fleurs préférés de son petit ami. en rentrant chez eux, le bouquet posé sur la table, il prend le temps de se changer avant de retrouver la cuisine. la porte claquée confirme ce qu'il pense, mais lorsqu'il retrouve jude et qu'il le voit si peiné, il est confus. i'm sorry baby, qu'il souffle doucement. did something happen ? are you alright ? inquiétude sur les traits de son visage, à le prendre dans ses bras sans attendre. il n'a pas eu le temps de commencer à cuisiner, mais il n'y pense plus à présent. il n'y a que jude qui compte, alors qu'il effleure ses cheveux doucement, en espérant que tout va bien aller. il déteste le voir bouleversé.