Dans des moments comme ça, on ne pose pas de question. Adrian m'a proposé de le rejoindre chez lui pour boire un café, je ne sait pas ce qu'il y a d'urgent, mais comme Adam est encore à l'école à l'heure où on parle et que Jay n'est pas rentrée du boulot, je quitte mon appartement pour me rendre rapidement chez mon ami. Bien sûr, je suis chez lui en même pas cinq minutes, puisque nous vivons dans le même bâtiment de New York. C'est une tragédie qu'Adrian a vécu récemment, et je fais tout mon possible pour être là dès qu'il en a besoin. C'est tout naturel pour moi, d'autant plus qu'il a été une des personnes les plus présentes quand Janet était partie il y a quelques années. Et elle était juste partie, pas... morte. Je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel je serais si jamais il arrivait quelque chose à ma femme, serais-je même capable de m'en remettre ? Impossible pour moi de savoir ce qu'il ressent, mais je fais de mon mieux pour me mettre à sa place. Alors que je dévale les escaliers pour me rendre à l'étage où vit mon ami, je me prépare à tout. Quand on est proche de quelqu'un qui subit un deuil, on ne sait jamais trop comment on va devoir agir ce jour-là. Faire tout son possible pour qu'il rigole ? Le réconforter si jamais il est triste ? Essayer de lui changer les idées en parlant de tout autre chose ? Ou juste être une oreille attentive et une épaule sur laquelle il peut s'appuyer en cas de besoin ? J'essaye d'être prêt à toute situation pour pouvoir m'adapter au mieux. Je veux aider Adrian a surmonter cet obstacle que la vie a décidé de dresser devant lui. Je toque a la porte de son appartement, un large sourire sur les lèvres. Je suis de ces personnes qui ont le sourire facile, contrairement à ceux qui ont une resting bitch face. « Hey ! » Je le salue, attendant de voir son visage pour pouvoir mesurer la température de l'eau.

L'impression de flotter ne le quittait plus. Il n'arrivait plus à pleurer, il n'arrivait plus à exprimer ce qu'il ressentait, parce que c'était lourd dans son coeur. Parce que son corps lui faisait mal de penser, il voudrait dormir. Encore et encore. Ne plus rien ressentir. Parce que ça fait mal au fond du coeur, ça fait mal dans toutes les parties de son corps. Il a le coeur lourd, la tête trop remplie. Et son appartement est vide. Ils n'avaient officiellement pas emménagé ensemble, mais elle était toujours là quand elle était en ville, son appartement était officieusement devenu leur appartement. Y'a toujours sa brosse à dents devant le miroir de la salle de bain,  y'a toujours sa paire de chaussures préférées, et toujours sa veste accrochée à la patère de l'entrée. Elle est encore là sans vraiment l'être. Puis il y a ses mots qui reviennent en mémoire quand il n'arrive pas à fermer l'oeil t'es qu'un con. Un con amoureux. T'es qu'un con. il n'avait pas mesuré l'étendue de sa demande, il n'avait pas pensé que ça mènerait à une dispute. Et maintenant, elle n'est plus là. Il a aussi les gros titres qui apparaissent derrière ses paupières quand il ferme les yeux. Et il ne veut plus les fermer, Adrian. Depuis l'enterrement, il erre comme une âme en peine dans l'appartement vide de sens. Parce que le monde n'a plus de sens depuis qu'elle n'est plus là. Il a enfin demandé à la wedding planner d'annuler les prestataires, mais lui a promis de la payer même si elle lui avait dit que ce n'était pas nécessaire. Cas de force majeur. Il aurait aimé que le cas de force majeur n'en soit pas un, qu'ils deviennent mari et femme et qu'elle soit encore là. Lorsqu'il claque la porte de l'appartement après être rentré de sa balade avec Buzz, ça tambourine dans sa tête. Ça tambourine de cette décision dont il a parlé à personne, alors il envoie un message à Elior, parce que c'est sûrement la personne la plus à même de le comprendre et d'accepter. Il ne s'attendait pas à ce qu'il débarque si vite, si bien qu'il souffle un coup avant de se regarder dans le miroir qui lui renvoie sa tristesse à la gueule. « Hey » lui répond t-il simplement en se grattant l'arrière de la tête avant de se décaler pour le laisser entrer « Sorry it's a mess, I didn't have time to clean and Buzz has decided to be a pain in the ass today. But I'll clean. Do you want a hot or a cold drink ? » Il n'arrive pas à regarder Elior en face parce qu'il est incapable de voir qu'il peut invoquer de la pitié à qui que ce soit. « How's Adam ? »

On ne sait jamais trop comment se comporter avec quelqu'un qu'on aime quand il vit une tragédie pareille. Pourtant, il y a toujours ce petit instinct, celui qui te booste et t'aide à tenter de comprendre ce qu'il ressent. Surtout quand tu connais bien la personne, comme je connais Adrian. C'est un ami de longue date, on en a vu des vertes et des pas mûres ensemble. C'est le genre d'amitié qui dure, parce qu'on est si différents qu'on se complète, parce qu'on excelle dans ce que l'autre ne comprend pas. On se tire vers le haut, et je n'oublierai jamais à quel point il a été présent pour Adam et moi il y a trois ans, quand Janet était partie. Sans Wes et lui, je n'ai aucune idée de ce que j'aurais fait. Ils m'ont vraiment portés pendant ces quelques mois.

C'est tout naturellement que je lui rends la pareille, que j'essaie de l'épauler le plus possible pour l'aider à avancer malgré l'horrible obstacle que la vie a décidé de mettre sur son chemin. Et quand je suis en face de lui, j'essaye de ne pas lui montrer de la pitié mais plutôt de la générosité et de la bienveillance. « Don't worry about it. I won't judge you, I remember how you saw my apartment when Jay left... i couldn't care less about cleaning. And I don't even have a dog. » Je lui réponds en pénétrant dans l'appartement d'Adrian, sans même trop regarder autour de moi pour qu'il ne se sente pas mal à l'aise. « A tea or coffee would be nice actually thank you ! » J’aperçois le chien dans le salon et je m'accroupis, les bras grands ouverts. « And there he is !! Buzz my buddy come say hello to uncle Elior ! » Et je fais quelques petits gestes de la main pour attirer le chien. Je m'étais toujours considéré comme a cat only person jusqu'au jour où j'ai rencontré Buzz, il est peut être l'exception qui confirme la règle, mais avec le chien d'Adrian, je m'entends tout particulièrement bien.

Il n'avait de cesse de se lamenter, même s'il ne pleurait jamais. Jamais il ne montrait qu'il avait mal au fond. Il n'y a que Lou, qui l'avait vu craquer. Il n'y a que Lou qui l'a vu au fond du trou. Et pour une fois, l'alcool ne pouvait rien atténuer, l'alcool ne pouvait pas soigner les plaies. Il ne voulait pas replonger, même si l'envie passait parfois dans son esprit. Et si, il reprenait ne serait-ce qu'un verre. Et si, il prenait une bière. Et si, il prenait un whisky. Mais non, il ne devait pas, il n'avait pas accompli tout ce chemin pour rien. Qu'est-ce qu'elle dirait, Elizabeth, si elle le voyait dans cet état ? Elle se foutrait sûrement de lui, elle se moquerait de lui et ce serait sûrement l'électrochoc. Mais Elizabeth n'est plus là pour lui dire quoi que ce soit, alors à quoi bon? Puis quand il se dit que de toutes façons, personne ne pourrait le retenir, il pense aux autres, à ceux qui gravitent autour de lui et qui seraient certainement déçus. Lou, Adam, Elior, Happy. Il ne voudrait pas les décevoir, il ne voudrait pas voir la honte dans leurs yeux l'Américain.

Alors quand Elior lui propose de passer chez lui, il voit ça comme quelque chose de positif, comme un signe divin qu'il ne doit pas reprendre. Il s'excuse parce qu'il n'est pas capable de faire rien d'autre. Il a juste l'impression de se noyer. Un sourire léger se fend sur ses lèvres quand il voit l'effort que fait Elior. Il se dirige alors jusque sa machine à café et y dépose deux tasses, attendant que la machine daigne chauffer. Il n'a pas la patience d'attendre, mais il ne dit rien. Lorsqu'il voit Elior et Buzz, l'Américain ne peut s'empêcher de les regarder avec tendresse. Le café coulé il va jusque dans le salon pour déposer leur deux tasses et s'installe sur le canapé « I think that Buzz really likes you. » explique t-il, ça a été quasiment instantané depuis qu'il l'avait adopté, Elior avait toujours été la personne dont Buzz s'approchait toujours dans une pièce remplie de monde. Il attrapait sa tasse de café et la tête de sa soeur qui se matérialisait sur la table de salon parce qu'elle était en train de l'appeler lui rappela qu'il n'avait encore rien dit à Elior « I have something to ask you. » prononça t-il après que Buzz se soit calmé. « If you promise me to don't freak out. » Parce qu'il était sa seule option au fond. Il n'avait pas envie d'imposer à Buzz un long voyage, et une ville qu'il ne connaissait pas.

Parce que la vie pourrait parfois s'apparenter à une course de relais sur un chemin semé d'embûches. Il faut avoir sa propre équipe pour y arriver, une équipe solide, il faut pouvoir être sûr de compter les uns sur les autres. J'essaie d'être un bon partenaire pour mes amis, pour le meilleur et pour le pire, et aujourd'hui c'est mon bon ami Adrian qui a besoin de mon soutient. Alors je fais ce que je peux pour l'aider du haut de mon échelle.

Adrian est partit nous préparer des boissons chaudes et pendant ce temps, je caresse et joue avec l'adorable chien de mon ami, rare chien de ce monde que j'apprécie à ce point. « You're such a good boy ! » Jusqu'à ce qu'il me lèche la main, alors, je me relève pour aller rapidement dans la cuisine à mon tour me laver les mains. « I love you Buzz but hand licking is nasty, sorry. » Et je retourne dans le salon afin de m'asseoir sur le canapé juste avant qu'Adrian revienne avec nos tasses. « Thank you, » je le remercie pour le café. « Of course, who doesn't. » je réponds à Adrian, quand il me dit que Buzz m'aime bien. Et je prends l'une des tasses après y avoir ajouté un peu de sucre. Puis, mon ami me dit qu'il a quelque chose a me demander, et suit sa phrase par un "promise me not to freak out". Une gorgée de café plus tard, je fronce les sourcils et regarde mon ami qui prend un air presque grave, et je n'ai aucune idée de ce qu'il s'apprête à me dire. « Why would I freak out ? »

Adrian savait pertinemment qu'il pouvait compter sur Elior même s'il l'avait prévenu, au début, de se méfier de Liz. Qu'il ne l'avait jamais vraiment apprécié mais Adrian était amoureux -pour une fois- et le barista ne l'avait pas écouté. Parce qu'il avait l'habitude de n'en faire qu'à sa tête. Mais c'était surtout que ça ne s'était pas terminé parce qu'elle l'avait quitté de son plein gré, non. Elle était partie. Envoler. Il détestait cette expression Adrian, elle s'est envolée. Non elle ne s'est pas envolée, elle est morte. Elle est décédée. Et il ne pouvait rien y faire. Elle se serait envolée, il aurait essayé de la rattraper. Il aurait essayé de l'empêcher. Mais il n'a rien pu faire, il avait été coincé comme un con aux Etats-Unis pendant qu'elle, elle était ailleurs. Dans un autre pays. Loin. Trop loin. Et il avait encore mal au coeur Adrian et personne a qui en parlait. Parce que personne n'était là. Ou plutôt, il ne se sentait assez bien avec personne pour se confier. À part Elior. Et heureusement que l'artiste était là quand il se sentait sombrer. Il ne pouvait s'empêcher de sourire quand il entendait Elior qui jouait avec Buzz et il s'était intérieurement dit qu'il avait prit la meilleure des décisions. Les tasses ramenées, Adrian ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel à la remarque d'Elior « Excuse me I forgot that I was with Narcissus. » répondit-il, amusé. Mais l'amusement fut de courte durée, parce qu'il ne voulait pas tourner autour du pot pendant longtemps. Il n'aurait peut-être pas dû employer les mots qu'il venait d'employer parce qu'il savait qu'Elior allait paniquer, mais il ne dit rien d'autre avant d'avoir une réponse et la réponse lui convenait assez pour qu'il continue. « Because I know you'll freak out. » expliqua t-il simplement, avant de se gratter derrière la nuque « I'm thinking of going to London. Not permanently but for a couple of months. » lâcha t-il de but en blanc avant de prendre une gorgée de café « I can't- I can't stand here. But I do love my apartment. And... I was wondering if you can keep an eye on Buzz ? Maybe take it to your place ? Sorry it's so sudden, but I can't stay here. I feel like she is her, everywhere and I need to go before diving back with my demons. »

« Why Narcis- » je commence, avant de comprendre ce qu'Adrian voulait dire par là. Un sourcil haussé, je tourne la tête vers mon ami pour rétorquer. « Hey ! You know I love a compliment and my jack-ass french side of the family would say "on n'est jamais mieux servi que par soi-même". » J'ai une base de français et je sais un peu le parler, mais je suis loin d'être fluent. On le comprend à mon accent quand j'essaye de le parler. « It means something like... better do it yourself or... whatever. Therefore, I'm not a narcissist. I'm just... an... entrepreneur. » Je m'enfonce et je le sais, mais je ne le montre pas et j'accompagne même mes propos avec un geste de la main fancy.

Mais la conversation bifurque, et je ne sais pas pourquoi Adrian essaye de me calmer avant même de me dire quoi que ce soit. Il a un truc à m'annoncer ou quoi ? Je fais de mon mieux pour ne pas paniquer, puisqu'il dit qu'il est sûr que je vais paniquer. « Well, never start by 'please don't freak out' if you don't want me to freak out ! » je lui réponds, avec un ton presque ironique. Mais c'est vrai ! Si je te dis "Hey, pas de panique mais-" ben je vais paniquer ! That's math for you darling. Mon coeur me lâcher quand Adrian prononce le nom de la ville de Londres, mais je suis quand même soulagé quand il m'annonce tout de suite que ça n'est pas permanent. Je hoche doucement la tête, et tente de me composer pour lui prouver que i'm not freaking out. « Um... yeah, okay. I get it. » Et je ne dis pas ça que pour le réconforter, il le sait certainement. Je le comprends vraiment. Se retrouver seul dans un endroit bourré de souvenir avec quelqu'un qui n'est plus là, décédée dans le cas d'Adrian, c'est un sentiment horrible. On ne peut rien faire sans avoir un nouveau souvenir qui pop dans sa tête. « I really do. » Je prends une gorgée de café, comme pour me laisser le temps de réfléchir aux bons mots que je dois avoir pour mon ami. « It'll allow you to take a break. I'm sure a change of decor would be like breathing fresh air for you. When it comes to Buzz... » je pose mes yeux sur le chien rapidement avant de les reposer sur mon ami. « I'll talk to Jay but I'm pretty sure she'll be okay with it. » Je ne peux pas approuver totalement sans en parler à ma femme, mais je sais déjà qu'elle ne refusera pas de rendre ce service à notre ami, pas après tout ce qu'il fait pour nous.

« Je comprends tout à fait. » répond Adrian dans un français plutôt approximatif. Merci Mark et ses lubies de vacances en France. Le barista aimait bien passer du temps avec Elior parce qu'il pouvait très bien le clasher, il pouvait très bien agir comme un con, il savait pertinemment que son ami ne le prendrait pas mal parce qu'il savait qu'il plaisantait. « No worries, Elior, I know that. » mais il appréciait le fait que son ami tente de lui expliquer comme s'il ne savait pas, c'était appréciable pour le barista parce qu'il savait qu'il pouvait compter sur Elior pour faire dissiper le brouillard de son esprit.

Il y a toujours cette phrase qui n'a aucun sens qui flotte dans l'air quand une conversation doit devenir sérieuse. Le genre de phrase qui n'a que l'effet inverse qui se produit, et Adrian en a bien conscience quand il voit le visage de son ami. Heureusement pour lui, Elior est certainement le plus compréhensif des potes et il se doutait bien que sa réaction serait comme tel, et qu'il ne voudrait pas l'empêcher de partir « Thank you. » murmure t-il, comme s'il avait peur de déranger alors que généralement, ce n'était pas le cas. Il n'avait pas envie de déranger qui que ce soit avec sa tristesse et son désespoir. Adrian remarque bien Buzz qui regarde Elior quand il entend son nom et le coeur du barista se serre un peu à la simple pensée qu'il allait devoir le laisser « If it's a problem, I'll check the modalities to take him with me. It's just... I don't want him to be disturbed and I know that he would be well with you. &raquo Il caressa alors la tête de son chien qui ne semblait pas comprendre grand chose avant de boire une gorgée de café, et de fixer le mur sans parler. Les souvenirs qui valsaient dans son esprit, à la manière d'une douce torture « Do you think we get over grief? » demande subitement Adrian. Même s'il connaissait la réponse, même s'il savait pertinemment que ça finirait par passé. « Do you think I'm a douche? » Parce que c'est ce qu'elle lui a dit, et ça reste dans la tête, bien trop ancré.